Un peu d'histoire
C'est en 1969 qu'Henry Marionnet a repris le domaine viticole de ses parents. Les 23 ha du vignoble sont plantés de vieux cépages hybrides et sont surtout à l'abandon. Le tout jeune vigneron décide de retrousser ses manches et sans autres bagages particuliers que ceux de l'expérience, de l'intuition et d'un peu d'insouciance, il va replanter le vignoble entre 1969 et 1978 avec des ceps de Sauvignon pour un tiers et des ceps de Gamay pour le reste puis l'agrandir. Il modernisera aussi l'outil de travail et la cuverie. Durant les premières années, il multiplie les expériences de vinification, avec comme objectif d'obtenir les meilleurs résultats sur ces 2 cépages. S'il ne revendique pas l'appellation "bio", ses méthodes de culture et de vinification s'en rapproche grâce à une réduction des traitements, à la pratique d'une culture raisonnée, à la mise en place d'une cueillette manuelle de la vendange et à son acheminement en caissettes, le tout suivi d'un tri sévère des grappes avec élimination des grains pourris et défectueux. En 1973, il trouve enfin "la" solution en vinifiant son Gamay de manière originale, c'est à dire en grappes entières, dans des cuves saturées de CO2. La fermentation intracellulaire qui s'en suit s'opère dans les conditions les plus naturelles possibles, sans apport de soufre et de levures exogènes. Le vin obtenu est séduisant par sa belle couleur, sa bouche ample et son fruité et donne l'impression de croquer le raisin. Les résultats sont plus qu'encourageants et Henry Marionnet a une deuxième idée de génie, et ce ne sera pas la dernière, il embouteille ce vin dès novembre 1973. Il est donc le premier et seul vigneron ligérien à produire du Touraine primeur ! Il le restera jusqu'en 1976. Il vinifie également son Sauvignon selon le même procédé et part conquérir la clientèle parisienne des cavistes, cuisiniers et restaurateurs. Le succès est au rendez-vous et des maisons comme Fauchon et Hédiard seront les meilleures ambassadrices du “Marionnet“. Bien sûr, cette vinification particulière où le soufre protecteur est absent lui vaudra quelques petits soucis de conservation de cette production et je me souviens de bouteilles de Touraine Gamay filant comme de l'huile quand on les servait. Mais à cœur de Marionnet rien d'impossible et l'homme cherchera et trouvera très vite la solution technique pour y remédier … et continuer à satisfaire les palais les plus difficiles.
Sauvignon, je vous "M"
En 1988, Henry Marionnet teste plusieurs parcelles de Sauvignon et constate que l'une d'entre elles permet d'obtenir une vendange très mûre avec un vin titrant entre 14 et 15°. Cette cuvée, baptisée "M de Marionnet", sera le coup de tonnerre des Olympiades du vin organisées par le magazine GaultMillau en juillet 1990. En effet, son millésime 89 y sera sacré meilleur sauvignon du monde, devant les Pouilly, Sancerre ou autres vins de Californie et d'Australie plus réputés. En 1992, les conditions climatiques sont délicates. La cuvée n'est pas à la hauteur des espérances de ce vigneron exigeant. Elle sera donc baptisée "H", ce qui lui fera dire sur son stand du salon des vins d'Angers, que le "H" peut également se boire … en toute légalité !
La greffe prend la porte
Mais l'année 1990 c'est aussi celle du Gamay du domaine de la Charmoise et de la mise au point de la cuvée "Première vendange". Sa fermentation est réalisée avec ses seules levures endogènes, mais surtout sans chaptalisation et sans soufre. Elle s’avérera un modèle de pureté aromatique, avec une couleur plus sombre et d'intenses arômes de fruits noirs.
Deux ans plus tard, c'est un retour aux sources de la vigne, celle d'avant le phylloxéra, grâce à la plantation de ceps de Gamay "franc de pied", autrement dit non greffés, histoire de vinifier et d'obtenir un vin comme on le faisait avant 1872. Et le vin obtenu à partir de cette vigne d'1 hectare 32 se révélera totalement différent de celui issu d'un Gamay sur porte-greffe. On y retrouvera la véritable expression de ce cépage donnant un vin plus gras, beaucoup plus long en bouche et aux arômes de fraises très mûres et de cerises noires. C'est le premier vin de la gamme "Vinifera". En 2000, elle s'enrichira d'un Sauvignon et d'un Côt. En 2002, le Chenin sera son quatrième mousquetaire, provenant d'une parcelle de 25 ares plantée en 1979 planté par un voisin vigneron et miraculeusement sauvée de l'arrachage.
En 1995, un autre voisin lui propose une parcelle de Gamay de Bouze, un cépage très présent en Sologne jusque dans les années 1970 mais interdit dans l’AOC Touraine depuis 1980. A ce jus pratiquement noir, Henry Marionnet applique sa fermentation intra cellulaire, sans ajouter de soufre, et obtient une première cuvée extraordinaire de ce Gamay de Bouze, à la rusticité apprivoisée et offrant une matière et une densité impressionnantes. N'ayant pas droit à l'AOC, il est proposé en Vin de Pays du Loir et Cher sous la dénomination «Les cépages oubliés». De toute la gamme des vins du Domaine de la Charmoise, c’est celui qui a ma préférence.
La plus vieille vigne de France
Début 1998, un vigneron voisin d'Henry Marionnet prend sa retraite et lui propose de lui vendre ses 4 ha de vignes. Dans un premier temps, Henry ne manifeste guère un grand empressement pour finaliser cette offre. Toutefois, son oreille a bien retenu que dans ces 4 ha de vignes, se trouve une parcelle de 36 ares de cépage Romorantin qui aurait été plantée, selon la tradition orale, avant 1872. Une expertise du professeur Boubals de Montpellier confirmera ces dires, sans toutefois pouvoir certifier la date exacte de la plantation et Henry Marionnet en fera bien sûr l’acquisition. Quand on voit sur la photo qui illustre cet article un de ses ceps torturés et dentelés, on ne peut être qu’ému, rien qu’à la simple pensée qu’ils ont été plantés par des paysans nés probablement sous Napoléon Ier. Le "Provignage" produit en 1998 comme ceux des années suivantes n’ont rien de commun avec les vins issus du Romorantin greffé. Gras en bouche, avec une palette aromatique très complexe où se mêlent noisette, miel et fruits à chair blanche, ce Vin de Pays du Loir et Cher est unique. En 2005, cette vigne pré phylloxérique fait l’objet d'un prélèvement de bois de taille et les ceps obtenus après plantation délivreront leur premier millésime en 2010 avec une mise en bouteille en 2011. Sa dénomination, "La pucelle de Romorantin", tout un programme !
De gentleman vigneron à Académicien
Il n'en est toujours pas revenu, lui le sans-grade, comme il aime à se définir, lorsque fin 2009, il a appris que l'Académie du Vin avait décidé de l'accueillir au sein de son assemblée. Cette institution, fondée en 1933 notamment par le prince élu des gastronomes Curnonsky, est depuis 2004 présidée par Jean-Pierre Perrin, le propriétaire du château de Beaucastel. Elle compte parmi ses membres d'illustres noms comme Gérard Chave, Alain Dutournier, Léonard Humbrecht, Dominique Lafon, Alexandre de Lur-Saluces, Hubert de Montille, Michel Piot, Alain Senderens, Eric Orsenna … bref, une belle brochette de célébrités gourmandes. Le 24 novembre 2010, Michel Piot a prononcé son discours de bienvenue et quand à son tour, il a remercié ses pairs, Henry était très ému …
Le 21ème siècle se présente donc sous les meilleurs auspices pour Henry Marionnet, d'autant qu'il sait que la pérennité du domaine de la Charmoise est désormais assurée depuis que son fils Jean-Sébastien l'y a rejoint en 2000.
Domaine de la Charmoise
41230 SOINGS-EN-SOLOGNE
Tél. : 02 54 98 70 73 – Fax : 02 54 98 75 66
Site internet : www.henry-marionnet.com
Email : henry@henry-marionnet.com
Rennes possède certainement l'un des plus beaux marchés de France. Créé en 1622, il a bien failli se transformer en grand parking souterrain au milieu des années 60, comme la municipalité en place en avait fait le projet ! En 1977, pour la campagne des élections municipales, le projet est toujours d'actualité. Edmond Hervé, jeune conseiller général, est candidat (contre l'équipe en place) à la mairie de la capitale régionale. Dans sa profession de foi "Changeons Rennes ensemble", il promet de préserver les Halles Martenot. Bingo : le 20 mars, il remporte ces élections. La nouvelle équipe tiendra ses promesses : les structures métalliques et les toitures en "pagode" de deux des trois "pavillons" seront sauvées. Reconnaissance suprême, elles seront inscrites au patrimoine architectural de Rennes classées un peu plus tard monument historique, soit en 1986. En juin 1989, les halles Martenot, après bien des péripéties durant leur rénovation, sont inaugurées en grande pompe. Mais le vrai destin de ces halles n'est pas encore scellé. Trop de meetings et d’événements divers occupent son espace, surtout le samedi, reléguant les producteurs à d'autres lieux pour vendre leurs produits. Un homme va prendre la tête d'une association baptisée "L'avenir des Lices", c'est Paul Renault, éleveur de volailles. Il va réussir, avec l'aide des consommateurs, son pari : plus jamais les “producteurs ne seront déplacés le samedi matin du marché des Lices.
Place maintenant au récit de sa longue aventure.
Paul Renault, le séminariste insoumis devenu paysan
Paul Renault voit le jour en Bretagne, à Louvigné-de-Bais, au début des années 50 dans une famille paysanne. Dans ce milieu peu favorisé, quand on est comme lui un élève doué pour les études, on se trouve poussé par l'instituteur-vicaire à entrer au petit séminaire. Pour Paul Renault, ce sera de 1962 à 1970 celui de Châteaugiron, avec à la clé un bac littéraire (anglais, latin et grec), excusez du peu ! Mais l'homme a du caractère et surtout des idées bien arrêtées … au niveau du service militaire obligatoire qui n'est pas dans ses objectifs. Il s'expatriera donc durant 2 ans au Sénégal pour soulager “sa conscience! A son retour, c'est décidé, il sera paysan ; et Marie-Noëlle son épouse, aussi. Car, forte d'une formation agricole, elle ne veut pas être "femme d'agriculteur", mais "agricultrice". Le domaine familial des parents de Paul étant disponible, ils reprennent l'Entillère et y développent une activité laitière … et l'élevage de pigeons. Ceux de Marie-Noëlle, exposés au marché des Lices, vont très vite attirer l'attention d'un cuisinier qui fréquente assidûment ce lieu de vie. Et ce n'est pas n'importe quel cuisinier que ce Marc Tizon, célèbre chef du restaurant du Palais de Rennes. Séduit par la qualité de ces volatiles, il va encourager Marie-Noëlle à en produire plus. Très vite d'autres chefs bretons l’imiteront, comme Olivier Roellinger. L'affaire est désormais bien lancée et le bouche à oreille fera le reste. Les Renault ne vont dès lors cesser d'élargir au fil des années leur offre avec des poulets “cous noirs“, des canes croisées sauvages, des canes de barbarie, des pintades, des chapons, des cailles, des faisans et en 1997, avec une volaille très rustique répandue autrefois dans toute la Bretagne, à la chair savoureuse et giboyeuse, la "Coucou de Rennes". Cette commercialisation sera le fruit d'un long travail ayant pris naissance en 1988 avec 5 passionnés de cette race pour laquelle Marie-Noëlle et Paul Renault créeront même une association des producteurs (ils sont 11 aujourd'hui) et définiront un cahier des charges rigoureux de sa méthode de production. Mais la volaille de Marie-Noëlle et Paul Renault qui est pour moi la volaille suprême, c'est la “Poularde de lait“ élevée à l'égyptienne. Je l'ai découverte lors d'un déjeuner, sous l'alléchant intitulé “Poulette de lait pochée et rôtie aux asperges de Tendel“. C'était le 24 juin 2003 chez David Etcheverry, quand il officiait dans son convivial restaurant "Les Agapes" de La Mézière, et je n'ai eu qu'un souhait, rencontrer son producteur et lui en acheter. Depuis, comme Roellinger, Gagnaire, Crenn, Passard, Meilleur, Aribert, tous chefs étoilés Bottin Gourmand, je commande à l'Entillère ou je passe au marché des Lices m'approvisionner en volailles de Paul Renault, et même en lapins. Désormais c'est Olivier, son fils, qui a repris l'activité de l'entreprise à l'Entillère, mais Paul Renault sera toujours présent dans les deux halles de Rennes (pas en même temps bien sûr, l'ubiquité a ses limites !), histoire de garder le contact avec cette nombreuse et fidèle clientèle dont il est lui impossible de se séparer, comme son "tout jeune" vendeur.
Le saviez-vous ?
La Coucou de Rennes était abondante autrefois dans le pays de Rennes et plus généralement en Bretagne. Cette volaille, réputée pour la qualité de sa chair, était particulièrement appréciée sur les marchés rennais du 19ème et du 20ème siècle.
Sélectionnée à la fin du 19ème siècle par le docteur Ramé, éminent aviculteur rennais, la Coucou de Rennes est homologuée en 1914 par la création du standard officiel de la race.
Volaille au plumage barré comme le coucou des bois, la Coucou de Rennes est une volaille lourde et rustique. Comme la plupart des anciennes volailles françaises, c'est une race "fermière" polyvalente (chair et œufs).
En 1988, l'écomusée s'intéresse au sort de cette ancienne race bretonne et mène l'enquête pour essayer de retrouver quelques animaux. Parmi les rares pistes obtenues, celle d'un ancien agriculteur rennais, exproprié lors de l'urbanisation du quartier de Maurepas à Rennes, s'avère fructueuse. Conscient du risque de disparition de ce patrimoine génétique, l'agriculteur consent assez vite à faire don de quelques volailles à l'écomusée pour commencer un travail de conservation.
En 1989, ce dernier prend l'initiative de réunir plusieurs éleveurs, amateurs soucieux de conserver cette volaille. Ainsi naît le club national des éleveurs de volailles de races bretonnes.
En 1993, l'Inventaire national des produits des terroirs est lancé à l'initiative du ministère de l'Agriculture et du Conseil national des arts culinaires. En Bretagne, la Coucou de Rennes figure parmi les produits du terroir remarquables, à côté du haricot Coco de Paimpol (AOC en 1998) et du melon Petit gris de Rennes.
En 1997, avec l'aide de la Chambre d'agriculture d'Ille-et-Vilaine, une dizaine d'éleveurs bretons tentent l'aventure. Ils se regroupent et organisent la production de cette volaille particulière en créant l'Association des producteurs de poulets "Coucou de Rennes".
En faisant le choix d'une production de qualité, ces éleveurs se sont imposé un cahier des charges très strict.
Aujourd'hui, plus d'une vingtaine d'éleveurs professionnels assurent une production annuelle de près de 30 000 volailles.
Les consommateurs peuvent se la procurer sur les marchés, chez certains bouchers, sans oublier les restaurants qui la mettent à leur menu.
Quelques volailles de Marie-Noëlle & Paul Renault, plus en détail
Cane mi-sauvage et cane col-vert : âgée de 120 jours au moment de son abattage, la cane vit pendant 4 mois dans son élément naturel, l'eau. La cane mi-sauvage propose une viande moelleuse, la cane col-vert, un goût de gibier.
Oie : l'oie se caractérise par une carcasse longue et développée. Sa graisse "noble" lui assure une chair fine et savoureuse. Son poids : de 3 à 4,5 kg
Dinde noire et grise : élevées en plein air sur des parcours herbeux avec apport de céréales, leur viande est "goûtue"
Poularde : cette jeune poule (qui n'a pas encore pondu) se voit nourrir à partir de 18 semaines avec du lait de vache frais et entier ainsi que du maïs. Cette finition, dite "à l'égyptienne", dure 1 mois.
Chapon : dépourvu de ses attributs masculins à 50 jours, ce poulet mâle castré est élevé en plein air pendant 170 jours. Comme pour la poularde, il sera fini au lait (150 à 200 ml par jour) et au maïs durant 1 mois.
Et naturellement la Coucou de Rennes.
Où trouver leurs volailles ?
- Halles Centrales de Rennes, boulevard de la Liberté : Tél. : 02 99 79 19 76 du mardi au samedi, sauf le jeudi
- Marché des Lices de Rennes, uniquement le samedi matin : sous le pavillon Martenot où se côtoient volailles, produits laitiers, miels, pains d'épices, etc. …
- L'Entillère
35680 LOUVIGNÉ-DE-BAIS
Tél./Fax. : 02 99 00 05 90 ou le 02 99 49 11 09 après 20 heures
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Quelques adresses très utiles :
Association des producteurs de poulets “Coucou de Rennes“
CS 14226
35042 RENNES Cedex
Tél. : 02 23 48 28 14 Fax : 02 23 48 28 11
Personne à contacter : Paul RENAULT, président de l'association, au 02 99 00 05 90
Email : contact@coucouderennes.fr
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Chambre d'agriculture d'Ille-et-Vilaine
CS 14226
35042 RENNES Cedex
Tél. : 02 23 48 28 14 Fax : 02 23 48 28 11
Personne à contacter : Bernadette LOISEL
Email : bernadette.loisel@ille-et-vilaine.chambagri.fr
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Volailles vivantes pour la basse-cour à élever :
Ecomusée du pays de Rennes et Club national des éleveurs de volailles de races bretonnes
Ferme de la Bintinais - Route de Châtillon
35200 RENNES
Tél. : 02 99 51 38 15 Fax : 02 99 50 68 35
Personne à contacter : Jean-Paul CILLARD
Email : ecomusee.rennes@agglo-rennesmetropole.fr
Infos tirées du site www.ecomusee-rennes-metropole.fr
A lire impérativement :
"Les Lices et ses coulisses", un livre exceptionnel d'Evelyne Cohen Maurel & Xavier Hinnekint qui retrace l'extraordinaire histoire du marché des Lices. De grands moments de plaisirs visuels, culturels et gustatifs à découvrir au fil des 190 pages.
Pour tous renseignements concernant ce livre :
Editions des Lices
10 rue de Robien
35000 RENNES
Tél. : 02 99 38 258 10
Email : editionsdeslices@gmail.com
Site web : www.editionsdeslices.com
Présentation
Désormais grâce à Philippe Olivier, vendre un fromage est devenu un art. Que dis-je, c'est une confrérie d'arts : art de la découverte, art de l'affinage, art de la réception, art de la pédagogie et art de l'exportation. Et, pour exprimer au mieux ces arts, la dernière trouvaille de cet homme, toujours en quête de nouveauté et de perfection, c'est la Bière à Frometon®. Les fromages s'accordent souvent avec le vin de leurs terroirs. Pour le Nord, comme ce département ne recense aucun vignoble, les fromages à pâte molle et à croûte lavée, ainsi que les fromages à pâte pressée, pourront désormais s'exprimer au mieux avec une bière locale spécifiquement créée à leur intention. Cette bière ambrée, de fermentation haute (les seules bières dignes d'intérêts), est le fruit d'une étroite collaboration entre deux passionnés; Philippe Olivier bien sûr, et Christophe Noyon, agriculteur brasseur aux Deux Caps. A l'approche de sa retraite annoncée, une rencontre avec Philippe Olivier devenait plus que nécessaire, elle était vitale quand, comme votre serviteur, on partage l'adage de J-A Brillat-Savarin, “Un repas sans fromages est une belle à qui il manque un œil !".
Direction Boulogne
Samedi 27 mars 2010, en route pour Boulogne-sur-Mer où j'avais rendez-vous avec Philippe Olivier à 15 h 30 dans sa fromagerie. En l'attendant, je parcours son étroite boutique-couloir et je reste émerveillé par le choix incroyable et l'aspect de la centaine de fromages proposés ici. Vers 15 h 45, Philippe Olivier arrive, me salue et me demande, avec une voix amicale, de bien vouloir l'excuser pour son retard (il était retenu par un important client pour affaire). Cette déférence me frappe et me fait prendre conscience que cet homme, comme tous ceux de sa trempe, sont d'une grande humilité. Lui, le puits de science de la galaxie fromagère, "le référent" mondial des préparations au lait cru, sollicite mon obligeance, moi le sans grade de la pâte molle, le béotien de la croûte fleurie, qui, à l'image d'un cyclotouriste du quatrième âge souhaitant atteindre le Tourmalet, l'a sollicité et a obtenu qu'il me consacre un partie de son temps précieux. Mais qui donc aurait pu avoir l'outrecuidance de ne pas l'excuser !
Un peu d’histoire
Dans la famille Olivier, le fromage c'est un sacerdoce. En 1907, le grand-père Ernest Leroux avait un magasin situé rue de la Tour à Beurre à Rouen. Il était président des "marchands de beurre" de Seine Inférieure. Le père, lui, était fromager à Dieppe. Quand à 14/15 ans Philippe Olivier tombe gravement malade, celui-ci, à l'issue de sa convalescence, lui demande ce qu'il peut faire pour lui. Réponse de l'intéressé : “Tu me paies une R8 et tu me donnes de l'argent de poche pendant deux ans“. Banco et fort de cette aide, il va parcourir la France et faire du compagnonnage. Au cours de son périple hexagonal, il apprendra notamment à faire du fromage, un atout que peu de fromagers peuvent sa vanter d'avoir dans leurs bagages. Ensuite, cap sur Paris où l'un de ses patrons d'apprentissage lui confie la reprise d'anciennes crémeries de l'après-guerre dont la devanture était peinte en bleu. Projets d'aménagements avec un installateur de magasin, décoration des locaux et formation du personnel, c'est ainsi qu'il ouvrira cinq boutiques dans la capitale.
Un jour, j'serais plus grand qu'toi !
Mais l'homme est épris d'indépendance. Il souhaite surtout monter sa propre affaire. Celles disponibles à Paris sont beaucoup trop chères pour les cordons de sa bourse. Ayant passé son enfance à Dieppe, il voulait surtout trouver quelque chose plus proche du bord de la mer. Il retourne alors en Normandie, celle de la région de Dieppe. Il va voir son père qui lui déclare : “Y'a une coutume en Normandie, l'affaire va à l'aîné de la famille. Comme tu es le deuxième, il faudra aller voir ailleurs ! " Cette remarque secoue la sensibilité à fleur de peau du jeune Philippe Olivier. Il claque la porte en lui déclarant : “Un jour, j'aurais une boutique dont le chiffre d'affaires sera plus gros que le tien !" Effectivement, après avoir prospecté à Dunkerque, Le Havre et Calais, c'est finalement à Boulogne qu'il se fixera avec son épouse, native d'Armentières, après avoir pris un café au Royal dans la rue principale en compagnie de son père. Car au cours de cette escale, il est tombé sur une ancienne boucherie tenue par une veuve. L'emplacement est idéal mais tous les Boulonnais rencontrés lui déclarent qu'il n'arrivera jamais à lui acheter son pas de porte. Fougue de la jeunesse, sens pointu de la relation humaine, Philippe Olivier en fera l'acquisition. Aujourd'hui, c'est dans cette même boutique qu'il me reçoit. En dessous, sont disposées de petites caves et sous les étagères a été étalée une couche de terre et de charbon de bois. Chacune d'elles à une hygrométrie et une température adaptées aux fromages qu'elle héberge. Ils y “mûrissent“ sur des clayettes en bois réalisées en hêtre ou en orme, mais surtout coupées à la lune montante. C'est un vieux truc des fromagers d'autrefois qui savaient que la sève continue de monter, à vivre, quoi ! Ainsi, la flore des fromages se développe mieux et leur maturation s'en trouve améliorée.
Un fromager créateur, généreux et fraternel
Durant toutes ces années, Philippe Olivier a œuvré sans compter (et non sans Comté) pour la défense et le renouveau des fromages du Nord. Je me rappelle d'ailleurs, avoir fait connaissance de ses fromages chez Bernard Robin au début des années 80, et avoir découvert son visage dans une émission de JP Coffe dans les années 90. Il y présentait notamment une Mimolette cassante, un grand et inoubliable moment. Dans ces années là, il créera d'ailleurs un fromage, le Crémet du Cap Blanc-Nez, à la croûte fleurie et en forme de gros Gaperon. La particularité de cette création sera d'être fabriquée à partir du lait des vaches qui paissent dans l'herbe salée des pâtures envahies par la marée. On peut en conclure, à l'instar de l'agneau qui broute dans l'estran, que ce Crémet est un fromage de pré salé ! Ma visite se terminera par une passionnante dégustation de fromages, naturellement au top de leur affinage : Camembert de Normandie - Reblochon affiné à l'Apremont - Fromage chèvre de Bourg en Bresse – Bergues - Maroilles de 100 jours - Mimolette de 2 ans - Fromage italien, que du bonheur !
Après cette dégustation, inutile de préciser que Philippe Olivier est passionné par son métier de fromager. Les trémolos dans sa voix quand il évoque "les fromages au lait cru" se suffisent à eux-mêmes. Et ce ne sont certainement pas les élèves de première année de BAC professionnel du lycée hôtelier de Beuvry qui me contrediront, eux qui avaient les larmes aux yeux en écoutant son vibrant plaidoyer, dont l'émission "Les fables de M. Aubrée en Nord Pas de Calais et Picardie" passées en juin et juillet 2010 sur FR3 s'est faite l'écho.
L'avenir de la fromagerie
Aujourd'hui, l'entreprise "Olivier" c'est 17 personnes et 55 % de son chiffre d'affaires à l'export (Europe, Dubaï, Katar, Chine, Singapour). C'est aussi 800 restaurants approvisionnés dans le monde, plusieurs fromagers de l'hexagone et 10 points de vente en Nord Pas-de-Calais, dont 2 à l'enseigne "Philippe Olivier".
Après sa retraite prise fin septembre 2010, Philippe Olivier, Président du Syndicat des Fromagers de juin 2010 à juin 2015, reste toujours au contact de sa passion. Les conférences dans le monde entier pour des syndicats fromagers ou pour Sofitel (Papeete, Bora-Bora …) ainsi que la présidence de quelques concours vont employer son nouveau "temps libre". L'une de ces soirées, à laquelle il m'a d'ailleurs gentiment convié pour son premier jour de retraite, s’est déroulée à Bergues, petite cité de caractère du Nord de la France, rendue célèbre par le film de Dany Boon. Organisée le vendredi soir 1er octobre 2010 par la confrérie du fromage de Bergues/Saint-Winoc, elle a été l'objet d'un repas associant les fromages aux grands crus.
Mon cher Philippe, je sais que ta nouvelle vie active va être aussi remplie que l'ancienne, alors longue route à toi.
Hélas, ce 15 décembre 2022, la maladie de Parkinson dont tu souffrais depuis plus d'une dizaine d'années a fini hélas par t'emporter. Désormais, repose en paix mon cher Philippe, je ne t'oublierais jamais ...